mardi 12 mai 2009

Africa felix

Puis la route a continué d’étendre son interminable bitume. Infatigable dans la métamorphose de son paysage et inépuisable dans ses points de fuite d’une rigueur presque classique. On a encore passé quelques cols et passages sinueux. Puis on a débouché sur un canyon, juste malade, avec des parois ocres qui se dressaient jusqu’aux nuages et en son centre une interminable palmeraie. Sur au moins 50 kil qu’on l’a longée, dans les méandres de son lit qui traçait notre route, à la hauteur de sa canopée odorante et touffue. Dans ses ornières, des ânes chargés de dattes et autres cochonneries exotiques. Des papis allongés sous l’ombre étriquée des palmiers. Et quelques gamins qui traînent à trois sur un fucking vélo. On a d’ailleurs failli en buter des hordes de ces enfants errants, amoncelés sur leurs BMX osseux, qui vagabondent nonchalamment dans les virages en épingle.

On a finalement rejoint Errachidia. Alain commençait à angoisser. On approchait de plus en plus de Rissani. Faut dire que la dernière fois qu’Alain y a foutu les roues d’une voiture, on a lapidé le pauvre véhicule sans autre forme de procès. Moi ça m’inquiétait pas trop. Une bosse de plus ou de moins ne changerait pas grand chose au look déjà assez pitoyable de notre pathétique bagnole. Et une vitre en moins pallierait à l’air climatisé évidemment déficient.



Le jour dégoulinait ses dernières lumières. Nous avons rejoint Rissani dans une bauge de crépuscule et dans le chaos du souk, dans la fange humaine. Barbouillée en clair-obscur par la lumière qui se faufilait au travers des ksour, et les chèches qui obombrait les visages… l’allure que prenait les gueules, dans cette maigre et vomissante lumière, ne nous inspirait rien de bon. J’ai dû jouer du klaxon et de bruits de moteur(toujours aussi ridicules) pour me frayer un chemin à travers la foule compacte et erratique des badauds, ânes, chevaux, bagnoles et autres pittoresqueries du cru monter sur roues ou sur pattes qui engluent chaotiquement et quotidiennement les rues de la ville.

Un essaim de rabatteurs en mobylette nous ont alors pris en chasse. Manœuvrer dans les rues bondés et bordant le souk est déjà un exploit en soi. Le faire en se défaisant de trois scooters, équipés chacun d’un duo de larrons qui font tout pour vous coincer dans la première impasse, tient de l’imaginaire de George Lucas ou d’un auteur de romans picaresques. Y’a pas grand chose à craindre, sinon de se faire imposer un hôtel miteux à un tarif monégasque. Ce qui est emmerdant, en définitive, c’est le capital-patience qu’on dépense pour simplement refuser. Et c’est là où le bât blesse, où 90% des touristes se font avoir. Pas parce qu’ils ont un couteau sous la gorge ou un flingue sur la tempe. Simplement parce qu’ils sont incapables de dire non et de s’y tenir…

Même les safi bien sentis ne décourageaient pas nos nouveaux amis improvisés. D’ailleurs, plus on refusait poliment – mais fermement – leurs offres puantes, plus ils devenaient agressifs sur le guidon et menaçants dans leur rengaine. Heureusement, j’ai gardé de Rissani un bon sens de l’orientation et un souvenir photographique de ses rues et ruelles. Et j’ai persisté stoïquement sur ma route – au risque de les aplatir un après l’autre sous les roulettes de notre pauvre titine. Un conseil au Maroc : même si vous ne savez pas où vous allez, ayez l’air aussi résolu sur votre improbable trajet que si vous alliez acheter une pinte de lait au dépanneur à côté de chez vous. Le pire que vous puissiez craindre, c’est de tomber sur des escrocs aussi véreux que les précédents. Le cas échéant, répétez l’opération jusqu’à ce qu’on vous foute la paix !

J’ai finalement parqué le char et suis sorti chercher des clopes et de la flotte pendant qu’Alain décourageait nos assaillants édentés(Faut vraiment qu’un de ces quatre je vous parle de la dentition marocaine…). Le nom d’un hotel pigé au hasard dans le Crowdy Planet et celui d’Hicham E. ont fini par décourager la plupart des rabatteurs. Deux sont restés plantés devant nous, têtus comme ces saloperies d’ânes qui m’empêchaient de conduire correctement, et ont continué à nous suivre pendant un moment sur leur scooter plus ridicule encore que notre voiture. Ce sont d’autres touristes, à la dégaine plus candide, qui ont eu le malheur de croiser notre route et la providence de nous débarrasser de ces connards motorisés.

Faut dire que depuis que Merzouga n’est plus un bled paumé, accessible uniquement par la piste, les pauvres habitants de Rissani ont perdu une bonne part de leur buisness. Buisness d’autant plus nécessaire que les caravanes ne s’arrêtent plus aux abords de ses caravansérails presque millénaires. Que les marchés à bestiaux ne sont que l’ombre famélique de leur prospérité ancestrale et légendaire. On a tracé une belle route droite depuis Rissani. Toute goudronnée et directe. Qui vous mène dans le temps de le dire vers les nombreuses Kasbah. Cerne touristique autour d’un amas de sable, certes beau au possible, mais pour combien de temps encore... C’est déjà un dysneyland pour des tripeux d’Indiana Jones en mal d’un huitième épisode. Alors, les gens de Rissani qui faisaient leurs choux gras en ayant le terminus chez eux, ont vu leur pain quotidien perdre un peu de sa saveur avec la construction de cette nouvelle route et, conséquemment, avec l'exil du tourisme rissanien qu'elle a engendré …



Le plein fait et les clopes achetées, on pouvait décamper. On a retraversé la ville et sa tourbe douteuse qui s’agitait furieusement autour du souk. Maintenant éclairée par deux ou trois réverbères qui pissaient leur lumière verte et économe. La ville prenait son autre visage, son articulation un autre rythme, plus alangui, autrement jaune. Alain et moi avions envie de sortir la photo d’Hicham et demander au premier venu s’il le connaissait. Sûr qu’ici quelqu’un saurait nous donner son numéro de téléphone ou son adresse, du moins qu’on nous enverrait vers lui d’une manière ou d’une autre. On a donc rangé la bagnole devant une petite échoppe qui débordait de bidules en fer-blanc et d’objets de quincaillerie. Une ampoule nue pendue sur un long fil éclairait violement la pénombre turbulente. Y’avait un monde incroyable qui discutait tout autour. La voiture à peine parquée, quatre ados acnéiques se sont rués vers ma fenêtre que j’étais en train d’ouvrir. On a eu le droit au baratin de base et aux salutations polyglottes. Aux déclinaisons idiomatiques de tous les pays de la francophonie. Ils sont tarés ces gamins. Vous parlent en 8 langues. Rajoutent les fricatives québécoises. Bref, la barrière de la langue est une vaine excuse pour refuser le thé, un tapis ou un tour de dromadaire. Même ces putains de Japonais se font fourrer vertement dans leur propre langue, à plus de 10 000 kil de chez eux, à des millions de bornes culturelles de leur île !

J’ai donc opté pour l’espagnol. En leur disant que j’étais Mexicain(étrangement les Marocains sont d’emblée plus sympas quand je sors la carte des origines paternelles). Bref, la fenêtre est maintenant ouverte et les ados sont à moitié dans la bagnole, penchés au-dessus de moi. J’ai trois têtes complètement fourrées à l’intérieur. Et ça continue à s’agglutiner tout autour de notre petite voiture. Je les repousse un peu. Leur explique qu’on sait où on va, qu’on a ni besoin d’hôtel ni de guide. Et j’insiste. Alors on commence à nous offrir des kilos de chocolate. Rien à battre de votre criss de haschisch. Et puis je vois un grand type se ramener. Il commence à faire le ménage autour de la bagnole. Bouscule les ados. Les engueule. Leur dit de se casser. Ça gueule tout autour. Mais il est vachement plus grand, vachement plus cool. Des fausses lunettes D&C sur les yeux. Le look surfer, MP3 sur les oreilles. Un immense sourire et une hygiène dentaire impec. C’est vachement plus avenant que les gueules glaireuses où il n’y a plus que trois dents rongées par le sucre et des bouts de bouffe faisandée. Ses dents sont blanches, immaculées, et bien droites, qui contrastent joliement avec son hâle cuivré. Il me dit qu’il est de Chihuahua en rigolant, l’accent bien mexicain. Et je rigole à mon tour. Il me montre la photo de sa chicks mexicana. Me montre la photo de sa doune danoise. Celle d’une salope française. Suis le Casanova berbère qu’il me dit. Et nous ça nous fait rire. Les ados moins. Il se retourne vers eux, lève le bras et gueule. Ils se cassent piteusement. C’est comme ça qu’on a rencontré Omar no. 1. Qui deviendra notre guide officieux et notre fournisseur de vin officiel…

Il était cool. On lui a donc montré la photo d’Hicham. Il l’a regardé deux secondes et puis nous a sorti deux ou trois trucs qui confirmaient qu’il le connaissat vraiment. Ils nous a aussi dit que depuis que l’Oued avait emporte l’Hôtel Berbère(où Hicham avait ses aises), que notre ami trainait plutôt du côté de la Palmeraie, un hôtel au centre de Merzouga où j’ai déjà dormi. Omar nous a même indiqué comment nous y rendre sans insister pour qu’on le prenne à bord. On l’a donc congédié gentiment. J’ai quand même pris son numéro, lequel s’est avéré très pratique par le suite !




J’ai repris le volant. Les ados nous ont toisé méchamment. Y’en a même un qui est venu taper dans ma vitre. J’ai fait mine de rien et me suis dirigé vers le désert. Nous sommes sortis de Rissani et la route s’est étendue dans la nuit. Infiniment droite. Autour de nous, l’obscurité, et rien, juste l’invisible désert qu’on présumait avec plus de foi qu'une réelle certitude. Et dans ce grand néant les choses se sont résumées pendant des kil aux seuls phares de la bagnole, jaunes, sur le bitume, noir. Et à la voûte étoilée qui, défaite de toutes contraintes géographiques, brillaient de mille feux dans l’amplitude sans borne du Sahara.

lundi 4 mai 2009

Un mouton en levrette !


Matin à Ifrane. Nous déjeunons frugalement dans l’immense salle-à-manger de l’hôtel. La pièce est désolée et nous sommes au beau milieu d’une batterie de tables aussi pompeusement dressées que solennellement désertes, au beau milieu d’un bataillon de serveurs inutiles. Deux cafards me regardent moins amoureusement que celui de la veille. J’avale mon jus d’orange. Fume trop. Bouffe pas assez. Et puis nous rejoignons notre voiture qui ressemble étrangement à une des blattes de l’hôtel.


Notre chevrolet – loin de la Malibu de ne mon enfance – a un air encore plus burlesque sous l’éclairage diurne. Elle a des roues de brouette et fait des grincements de char électrique quand on shifte. Pour dépasser à 120, je dois me mettre en troisième. Y’a zéro reprise. Je vous dis pas le bruit que ça fait. En plus que c’est vachement dangereux pour dépasser tracteurs, ânes et camions jurassiques qui battent chaotiquement l’asphalte. Je fous la musique dans le tapis, ça masque la mélodie inquiétante du moteur. Choisis l’abnégation à la superstition. The Pine Family a Allah.

La route continue à monter au gré d’un paysage boisé. Des singes bordent la route avec leur sourire narquois. Ça grimpe sans cesse. Ne serait de ces bestioles, on se croirait dans le Jura. La route débouche sur un immense plateau doucement vallonné qui n’a de limites que l’horizon et quelques pics enneigés. On dirait les steppes du Gobi. On pousse notre cafard. 120. 130. On frôle la désintégration. La tôle gueule. Plus fort que les Ventures qui rythment une route sans fin, interminablement droite. La route et l’horizon se marient confusément dans le lointain. Point de fuite volatile. Mirage épiphanique de notre destination.

Des bergers identiquement solennels jalonnent notre itinéraire. Ils sont tellement seuls dans l’amplitude de leurs pâturages. Dressés au milieu de leurs bêtes. Statiques et marmoréens dans l’infinie lumière des landes. On dirait l’arrière-plan d’un mauvais péplum. Le bitume continue à s’allonger monotonement sur de kilomètres et des kilomètres. Y’a que la route et une lumière diffuse sur des centaines de bornes.



La route recommence à grimper. On repasse dans les Alpes et on débouche en Arizona. Surréalistes tous ces changements de paysages. Le lecteur cd engloutit Calexico en glougloutant comme le moteur. La musique est parfaite. Le paysage, un décor de film. Je suis John Wayne et Alain le sergent Garcia (c’est qu’il a grossi mon tendre ami depuis nos bourlingues de jadis, moi aussi d’ailleurs, mais pas autant !). L’horizon file au travers du pare-brise englué par les bestioles qui s’y abîment juteusement. C’est beau. Putain que c’est beau. Pas les bestioles. Le paysage. On dirait que c’est pas vrai. Qu’on a collé le décor devant nous comme ces arrière-plans de bagnole qu’on foutait dans les vieux films.

Et on file toujours. Les ruisseaux se tarissent lentement. Les conifères ont fait place aux palmiers. Le vent s’est épaissi et asséché. La terre est passée de grise à rouge ocre. Les cailloux se sont disséminés et ont grossi. Les hommes portent le chèche et beaucoup de femmes le voile intégral, noir. C’est le sud qui lentement s’éploie. La géographie qui façonne subtilement le paysage, le cours des vents, les hommes et leurs mœurs. Et malheureusement aussi, leur fortune. Aléatoire comme matérielle.

On arrête la bagnole dans un bled sans nom. Les bâtiments sont rangés en batterie le long de la route. Comme dans un Western. Décrépits dans le même goût. Le vent souffle et charrie un sable fin qui nous fouette le visage. On entre dans le souk du village. Tout y est désolé. Des étales chavirés que le vent pousse par à-coups grincent dans le néant. Si ce n’était d’une vieille pub de coca-cola peinte sur un mur, la graphie en Arabe, Clint Eastwood ou le cowboy Marlboro pourrait venir me demander du feu que je serais même pas étonné. Il pourrait y avoir un pendu à la porte cochère que ça serait juste normal. Y’a même ces boules de branchages qui roulent dans l’éternité désertique du souk.



Après deux clopes et quelques photos on se décide à partir. Et puis on remarque deux vieux étendus à l’ombre d’un bâtiment. Comme tellement de gens au Maroc, ils sont là et ne font rien. Combien de ses personnes qu’on a croisé sur la route, alanguis dans l’ombre et le regard perdu dans l’éternité. Dieu sait ce qu’ils font. Mais y’a tellement pas de boulot ici. Et pas vraiment de centre d’achats où aller étioler son existence. J’imagine que la plupart attendent que la vie passe en espérant un improbable événement. Anyway, les deux vieux nous ont semblé sympas, et ils l’étaient. On a sorti la photo d’Hicham et on leur a montré. Ils l’ont regardée attentivement, très longtemps. On entendait le vent soufflé en attendant une quelconque réponse. Ça traînait. Et eux discutaient en Arabe. Quand le plus vieux s’est tourné vers nous, on était certain d’avoir retoruvé notre pote. Mais non. Ils nous ont envoyé avec leur bénédiction à Merzouga. En nous faisant promettre de revenir. D’y inviter des touristes. Sûr qu’ils chérissaient, in petto, le souhait de voir revivre leur souk comme au temps de leur enfance. Qu’à défaut de retrouver les caravanes de jadis, chargées des biens les plus exotiques et les plus lointains, ils apprécieraient voir ces nouvelles caravanes de 4X4 bondées de touristes amenant avec eux les précieux euros. Dont ils feraient le plein en échange de quelques babioles en fer-blanc, de faux tapis berbères et de quelques thés à la menthe écœurement sucrés… Alors je me trouve étonnamment con et ouvrant ma braguette, je m’en vais prendre par surprise un mouton en levrette. Ma besogne terminée, je file 15 dirhams aux deux types et nous reprenons la route. Le cafard hurle encore, mais pas autant que le pauvre animal de tout à l’heure…*



* P'us moyen d'aller chier en paix. On terrorise jusqu'à mon blog dans mes seuls instants de réelle solitude. Vous aurez compris qu'Alain vient de faire la projection de ses fantasmes inavoués et inavouables sur ma tribune, et à mes frais... La prose en Italique est de lui, et, au demeurant, reconnaissable sans artifices typographiques ! Sa verve étant inimitable !

dimanche 3 mai 2009

Une chevrolet bleu sans aileron


La bagnole du franchisé Budget n’était pas disponible. Je m’y attendais. C’était trop beau, trop simple, de réserver sur Internet. Dès mon premier voyage au Maroc, j’ai compris qu’il me fallait toujours rester méfiant face à ce qui paraît trop facile et trop rapide. Si vous faites ici l’expérience de l’un ou l’autre de ces deux concepts, c’est soit qu’on est en train de vous rouler correctement dans la farine, soit que vous êtes au consulat britannique. (Ou encore que vous venez de glisser un gros billet graisseux dans la poche de celui qui lambinait et niaisait allégrement. C’est fou comme quelques dirhams peuvent vous procurer instantanément une efficacité toute germanique. Bref, le Maroc c’est comme la France, mais en plus drôle, en plus chaleureux. D’ailleurs, pour revenir sur mes digressions sur le travail humanitaire, un autre conseil : allez bosser en France plutôt qu’au Soudan, je pense qu’ils en ont crissement plus b’zoin !).

Alain et moi avons donc repris notre bagage. On en menait pas large avec nos diarrhées respectives. En plus, on avait une de ces gueules de bois. J’vous dis pas l’état dans lequel on se trouvait. Et puis Fès grouillait dans le crépuscule. On pataugeait dans le remugle de mauvais carburant, au milieu du trafic furieux. En plein dans le chaos des grandes villes marocaines qui est soit pittoresque, soit impossible. Mais jamais dans la nuance.

On a donc joué des pieds et des mains dans ce grand merdier pour se trouver une autre bagnole. On cherchait un franchisé de grandes marques mais on trouvait pas. C’est que c’est un peu n’importe quoi de se louer ici une bagnole chez un particulier. Jamais moyen d’être sûr que la voiture est bel et bien assurée, qu’elle est immatriculée dans les règles de l’art ou simplement qu’on ne débitera pas 300 000 dirhams sur votre carte de crédit. On a eu beau chercher à hue et à dia, pousser notre patience, tougher notre lendemain de brosse. Rien. Le néant de la location de voiture sérieuse. Que des petits échoppes avec des bagnoles pourries louées par des types encore plus louches que leurs bolides.

Je devenais fou. P’us capable de traîner mon sac. De me traîner moi-même. On s’est donc risqué chez un de ces loueurs de voitures cabossées. Le type était un marocain super sympa. Un marocain du New-Jersey, de surcroît fan des Devils et de Martin Brodeur. Ça m’a un peu calmé. En tout cas jusqu’à ce que je vois la boîte à savon sensée nous mener jusqu’au désert. Mais j’ai vraiment déchanté quand ils ont pris mon numéro de sécurité derrière ma carte de crédit. Même le type de chez mastercard m’a confirmé que c’était ultra douteux comme manœuvre. J’ai donc fait annuler ma carte en bouffant mon McArabia à la sauce tagine. Et puis nous avons pris la route d’Ifrane en écoutant du country. À bord de la caisse la plus ridicule que j’ai vu de ma vie. En oubliant nos contractions dycentriques, les loueurs de voitures véreux et notre gueule de bois carabinée.

La route s’est décalquée sur la nuit au gré des phares borgnes de la bagnole. Et la voix de Wanda Jackson nous a guidé comme une égérie de road-movie jusqu’à bon port.



Suis à Ifrane. La Suisse du Maroc. Petite ville de montagne. Station alpine pour les ultras-friqués. Indécemment propre pour ce pays qui est si joliment sale. Elle a été construite par les Français, pour les Français. Et si ce n’était des écriteaux en Arabe, on jurerait être à quelque part entre le Piémont et la Slovénie. Nous y avons pris une chambre dans un hôtel au nom Ô combien pittoresque : Le Perce-Neige. La décoration atteste un luxe défraîchi. Tout est en granit saumon ou en mélamine beige. Les serveurs et les grooms sont vêtus d’horribles toxedos mal taillés et d’un nœud-papillon vert menthe. Il y en a trois qui font l’aller-retour entre le bar et mon cendrier chaque fois que je tape dedans. Cinq marocains se torchent violement à la binch et au whisky-coca. Ils sont saouls et suants. Moi je desends des gins-tonic en évitant de tourner la tête vers n énorme cafard qui me regarde presque amoureusement. Je viens de l’écraser. C’est qu’il commençait un peu à me gêner avec ses langoureux battements d’antennes. Ça a fait un gros crounch. Et puis c’est plein de jus brun sur le plancher saumon. Je vais me coucher. J’en ai trop (b/v)u pour aujourd’hui.

lundi 27 avril 2009

Raconter son voyage, c’est forcément mentir.


Chefchaouen, 22 avril 2009.


Nous sommes toujours à Chefchaouen. Le moral est à plat. Nous avons passé la journée d’hier cloués au lit, tiraillés par une fièvre de cheval. Et les seules fois où nous avons trouvé le courage de nous lever, c’était pour se rendre aux chiottes et y répandre des litres d’une fulgurante diarrhée jaune safran. J’ai passé la nuit dernière en sueur, à délirer mes relents fébriles. Réveillé chaque fois par la voix du muezzin qui gueulait depuis son minaret. Son chant réverbéré par les montages et la fièvre qui lui conférait des proportions quadraphoniques.


Personne n’a vu Hicham. Je crois qu’Alain angoisse pas mal à propos du film. Si on ne le trouve pas, c’est un peu notre trame narrative qu’on perd. En plus, les gens du cru ont une peur phobique de tout ce qui ressemble de près ou de loin à un appareil photo ou à une caméra. Je ne compte plus les fois ou j’ai cru me faire casser la gueule après avoir sorti mon appareil. Et ça finit par paraître dans mes images. Mes sujets sont souvent trop loin, ou flous, sinon platement statiques… Je dois constamment me cacher pour faire un cliché et je n’ai pas l’habitude de travailler de cette manière. C’est pareil pour la caméra. Chaque fois qu’on filme, les gens gueulent, se poussent pour sortir du cadre ou s’approchent pour nous crier une chiée d’injures en Arabe dont la traduction reste incertaine, mais la signification on ne peut plus claire et agressive.


La seule manière d’obtenir de belles scènes c’est en créant des liens avec les gens. Ou tout bêtement de les payer. Malheureusement nous ne disposons pas toujours d’assez de temps ou de dirhams pour le faire. Et même lorsqu’on y arrive, c’est jamais gagné. Beaucoup refusent d’être filmés. Et, d’aucuns, lorsqu’ils se prêtent au jeu, posent ridiculement devant l’objectif, sont mal à l’aise ou racontent des inepties sans intérêt pour le film.


Vivement partir d’ici, et le plus rapidement possible.




Gareroutière de Chefchaouen, 23 avril 2009.


Sommes descendus à la gare routière de C. Un autre de ces carrefours paumés du monde. Si anonymement laid qu’on ne peut qu’y attendre en désespérant dans la plus sordide des solitudes. Des essaims de mouches volent en désordre dans l’air gluant. Un bagagiste édenté baille si amplement qu’on a l’impression que son ennui pourrait engloutir l’univers. Trois ancêtres, assis sur un banc, semblent figés dans l’éternité. Le décor est étrangement allégorique. Me sens à un carrefour paumé de ma vie, embourbé que je suis dans l’air gluant de ma tête.

Suis content de quitter Chaouen et ses rabatteurs fanatiques, exacerbés par l’absorption quotidienne d’une mauvaise came, qui jettent sur vous leur dévolu tiers-mondiste comme on vous crache au visage. Heureux de partir loin de toute cette bouffe fade et poisseuse, rendue identiquement insipide dans tous les restos suite à trop d’année de tourisme occidental. C’est l’indolente aseptisation d’un des endroits les plus charmants de la terre, laquelle spolie lentement, mais Ô combien sûrement, ses habitants du sens qui les liaient à leur terroir. C’est morceler l’absolu d’un empire, comme dirait Saint-Ex. (Pas que je sois férocement pour les garder dans leur mode de vie médiéval, loin de là… simplement que nous n’avons vraiment rien de plus édifiant à leur laisser espérer de notre mode de vie…)


Suis las du voyage. Me sens comme un parasite de plus sur la gangrène africaine. Suis fatigué de n’être aux yeux de la majorité des Marocains qu’un autre reflet clinquant du rêve américain – ou européen. C’est d’ailleurs un rêve tellement fané qu’il a fini par revêtir sa forme la plus obscure, la plus ambiguë, la moins tangible, qu’est la chimère. Extrême moribond du spectre onirique. Mère de tous les fantasmes bâtards et avortés de ce monde, de l’espoir déçue et de la cupidité humaine.


Nous, étrangers, avons tué le voyage à force de voyages. Nous pourrons toujours considérer nos errances avec beaucoup de dandysme, et croire un instant que nous voyons le monde à travers un regard byronien, mais nous ne serons jamais plus que des touristes mal déguisés. Dupont & Dupont postmodernes d’un colonialisme qui n’a jamais cessé d’être, et dont nous sommes la plus insidieuse fenêtre, la plus sournoise facette. Vous voulez faire du travail Humanitaire ; vous rêvez de venir à bout des iniquités sociales ? Restez chez vous, c’est le premier pas dans la bonne direction. À défaut de sauver le monde, vous ne le troublerez pas davantage.



Autobus Chefchaouen-Fès, un peu plus tard...


Je fais une pause. Laisse couler dans mon crâne les beats sophistiqués de Wax Taylor. Besoin du Hip-Hop pour endiguer la route. Rythmer mon dégoût irrationnel des trajets en bus.


L’autobus tangue comme un navire. Le cap est sur Fès. À travers les fenêtres du bus défile le film épileptique du trajet. Jump-cut entre mon carnet tremblotant et le paysage syncopé. La route est en lacets. Parsemée d’oliviers qui font virevolter l’envers vert et le revers couleur inox de leur feuillage. Ça donne un éclairage surréaliste à la route et une improbable lumière au trajet. On sillonne collines et vallées. Le chauffeur dépasse dans les courbes. On pourrait mourir n’importe quand. Lui, vu sa témérité, croit aveuglément en Allah et sa Baraka. Des prés sauvages clairsemés de petites fleurs jaunes et rouges se désintègrent dans l’angle-mort de mon champ de vision. Tableaux impressionnistes, cinétiques et fugaces.


On traverse maintenant un paysage de plaines vierges qui font penser à l’Éden ou à une pub de Marlboro.


Je retourne à mon stylo. Cherche mes mots. Fais l’aller-retour entre le dehors et mon carnet. Deux chevaux. Un cambré comme dans une scène de Zorro. L’autre décampe. La fenêtre en mouvement guillotine la cadre. Fige la scène. Le cheval reste fixé sur ma rétine comme celui qu’a immortalisé Muybridge sur sa célèbre photo. Le bus s’arrête au beau milieu de nulle part, le temps de faire monter un vieillard préhistorique. Je tourne la tête. Une horde de gamins crasseux tapent sur une boule de chiffon en guise de ballon de foot. La tourne de l’autre côté. Un pasteur est juché sur une bute et laisse sa silhouette se scinder en contre-jour, toute noire et immobile. Son cheptel reste baigné dans une lumière biblique. Le bus repart en faisant couiner ses engrenages.



Pit-stop dans une ville de troisième ordre. La gare routière est sous le brouillard des stands à brochettes. Des carcasses entières suspendues sur des crochets de bouchers marinent dans la fumée visqueuse juste au-dessus des barbèques. Deux minutes pour pisser et fumer. Je joue du coude dans un labyrinthe de bouibouis glaireux à la recherche de n’importe quel trou approximatif où pisser. J’aboutis dans une chiotte turque tellement exiguë que la clope que j’ai au bec me brûle pratiquement la bite. Tellement crade que j’ai les deux pieds dans un bouillon de merde qui ressemble étrangement à la tapenade d’aubergine que j’ai bouffée hier. Je range mon outil et me déplie difficilement pour sortir des chiottes. Le klaxon du bus résonne au loin. Un troupeau d’Américaines clonées sur le modèle d’un ersatz de Lindsay Lohan courent vers l’autobus. Elles glapissent comme un poulailler en détresse. J’allume une autre clope. Me dirige vers un stand de babioles. Échange quelques formules de politesse en Arabe avec son propriétaire. Achète des peanuts. Puis me rends vers le bus en trainant de la patte. À l’intérieur, une des mauvaises copie de L.L. halète encore. Ses mamelles synthétiques ruissellent de sueur. On dirait des gros melons shootés à la glycérine pour une pub télé. Je la regarde en passant, lui fais un clin d’oeil… En retour, elle me dessine un sourire trisomique avec ses dents horriblement parfaites.



Le bus reprend la route. Cafouille dans les rues du village envahies par le souk. Je tourne la tête de tous les côtés tellement y’a des couleurs et des gens partout. Des gens avec des gueules dignes d’un film de Tod Browning. Des aïeules berbères avec des barbichettes confucéennes. Un nain moustachu en djellaba qui marche d’un pas chaloupé. Et toute une armée d’éclopés, d’aveugles titubants, de gamins faméliques, de monsieurs au sourire de pub anti-tabac, de mamis cagneuses et d’individus louches au regard torve. Le bus finit par trouver son chemin à travers le chaos local et file de nouveau vers Fès au gré d’une nature imprévue, inopinément sublime et changeante.




Je m’endors... Mais je sais inconsciemment que nous traversons une grande plaine. Puis plus rien. Rien. Rien. Rien. Rien. Juste des rêves jaunes sans forme ni trame.


Et puis je me réveille en sursaut, à la gare routière de Fès. Dans la confusion bruyante de la ville. Suis de mauvaise humeur. Je veux disparaître. Devenir invisible. Le prochain faux guide ou vendeur de haschisch ou cousin du mec au magasin de tapis qui m’aborde, je crois que je lui arrache la tête…


On négocie un taxi. Deux types se fâchent parce qu’on refuse leurs prix astronomiques. On finit par s’entendre avec un moustachu pareillement antipathique mais crissement moins avide. On file vers un franchisé Budget où une bagnole de location nous attend… Exit les trajets de bus interminables et suicidaires. On descendra jusqu’au désert par nos propres moyens. Ce soir nous mettons le cap sur Ifrane. Mais juste avant nous irons manger une crasse au Mcdo. Pour rassasier Alain qui n'en peut plus des Tagines et cie. Et j'avoue que j'dis pas non. Tant qu'à bouffer de la bouffe standardisée qui a partout le meme gout, on le fera au moins la ou elle est certifiée anti-chiasse...


lundi 20 avril 2009

Chefchaouen, 20 avril 2009


mon blog est en panne.
J'aurais envie de vous écrire comment cette connasse de l'hotel de pont de beauvoisin s'est reveillée avec deux barbus qui mitraillaient sa propriété. Mitraillaient a grandes raffales de photos, precisons. Et comment elle s'est mise a paniquer quand on lui a suggeré qu'on etait deux critiques du routard. Mais on m'a vulgairement plaqué au téléphone, hier, a 6000 kil de chez moi. Cheap shot. J'ai le coeur gros. M'sens inutile dans cette medina aux remugles de haschisch.
J'aurais envie de vous raconter comment nous avons traversé la Mediterranee sur un bateau plein de Marocains qui rentraient au bled. Vous raconter la danseuse du ventre qui ondulait comme le serpent de la genese. Et ce commissaire de bord infiniment triste. Un Malaussene, un vrai. Un bouc_emmissaire professionnel. Comment tout le bateau le pourchassait. Comment il nous a arreté et pratiquement foutu aux fers parce qu on filmait les douanes du bateau. Et comment il a finit par nous raconter sa melancolie. Comment il nous a invité a souper au carré des officiers, avec le commandant. Un type charmant, grand navigateur du st-laurent et du monde entier. Comment ce dernier nous a parlé de l'ortodromie en nous saoulant avec un sublime vin marocain qui goutait l'andalousie mauresque. Comment chaque gorgee se dessinait en bouche a la maniere du ventre de la danseuse. Mais ca me donnerait soif. Deja que j ai LA Soif, comme dirait la Stephe. Une soif de Khayyam. Mais, a l instar du grand poete perse, les mahometans du lieu n ont guere de penchant pour la dive ivresse. Ici, a chaouen, le peu de bieres et de vin sur lesquels on peu rabattre son exquise ivrognerie sont aussi chers que mauvias.

J'aurais envie de vous raconter comment nous avons debarque a tanger. Comment nous nous sommes infiltres dans un bar de marins et de voleurs balaffres a la lame facile. Au rire gras et combien franc. Vous parler de l'oiseau du bar, completement camé par les jaunes volutes du kif et du haschisch, qui chantait son buzz avec des sifflements erratiques... bizarrement ventriloques. Mais ce putain de clavier est en arabe et je peine a faire coincider mes doigts avec les beats de DRE qui defoncent mon tympan.
J aurais envie d etre chez moi. Sentir que je controle un tant soit peu les aleas de ma vie debraillee. Malheureusement, je suis a l autre bout du monde et je regarde partir a vau-l'eau tous les leitmotivs et realisations qui m ont groundé chez moi depuis 5 ans. Qui m'ont fait ravaler la vertigineuse et atavique ivresse de l'ailleurs qui s intime en moi depuis que je Suis.
Mais. Ce sont des épisodes pittoresques qui m'allaient bien quand je savais un peu ou j allais. J'avoue que ca me fuck un peu toute cette histoire. L'avais pa vu venir. Et je me sens un peu paumé dans ce vaste monde, circonstantiellement au maroc. Je sais plus ou je dois aller. Physiquement comme mentalement.
Ceci etant dit, Hier j ai fait un reve etrange qui m a fait grand bien. Il y avait un grand soleil, des jeunes filles nues(ce qui est toujours tres agreable) et un vieillard berbere sans age ni visage. Avoir voulu inventer, je pense que j aurais pas trouve plus con comme image. On dirait un mauvais bouquin de paolo coelho. Mais bon, malgre le ramassis de clichés, ca m'a fiat du bien. M'a rappellé que j'ai toujours eu l'immense privilege existentiel de la Baraka - mot sans possible traduction qu'on resume trop etroitement a un concept entre la grace et la chance. Qui me rappelle que, contrairement aux hordes de desherites du monde et du ciel, j'ai un soleil et mille chemins possibles devant moi... (Je regarde ici les jeunes, errés d'un touriste a l'autre en esperant leur soutirer quelques minables dirhams. Tout ca pour survivre jusqu au prochain touriste. Je trouve ca triste. Et je me trouve un peu con de me poser autant de question.)
Ca va peut etre vous decevoir, mais je m'en vais donc de ce pas vers le Parador, le 4 etoiles le plus thrash que j ai vu de ma vie, cracher impunement le salire d une semaine de travail du marocain moyen. J'irai boire du mauvais vin en l honneur de Dyonisos, saint patron des pochetrons et des poetes. De l'inspiration inutile et esthetique. Et, comme au debut de ce blog, si jamais je tombe sur un peu d opium, je n ecouterai pas mon copain Alex, et je fumerai dans une de ces longues pipes les vapeurs les plus delicieuses qui soient. Etiolerai le reste de mon amour sur des putains chimeriques. Et serai las, lache et lascif. Comme disait le luthier, en frappant toujours - et sauvegement - sa lampe de chevet avant de l allumer: Violence, ensuite psychologie.
J irai donc, par la suite, me laver au hammam. Me decrasser le corps et l esprit de toutes mes conneries. En sondant les vapeurs introspectives du calderium a la recherche d'un nouveau plan de match, en quetes de nouvelles voluptés ontologiques...
So... on se rvoit sur la route. God knows where.

samedi 18 avril 2009

11 ou 12(sais p'us) avril 2009, Pont de Beauvoisin, France.


On a traîné un bon moment sur les Départementales. À lever le pouce sur des routes désertes où l’on dénombre plus de vaches que de voitures. On a traversé l’Ain, l’Isère et la Savoie en passant par des communes où les gens vous regarde aussi étrangement qu’une peuplade de l’Amazonie qui découvre son premier homme blanc. La France profonde. La France d’il y a 50, 100, 200 ans… D’ailleurs les gens y ont un accent aussi bâtard que le mien. Aussi beau, si j’ose dire. En tout cas, crissement sincère et archaïque.

Notre chauffeur aime les dauphins et the fast & the furious IV. Il est un peu simple et très bon. Trop. À s’en sentir mal à l’aise. Il conduit furieusement sur des routes bouffées par un épais brouillard. Les arbres fruitiers sont en fleur et confondent leur frondaison dans un néant de brume. Suis assis derrière. Me laisse bercer par le mouvement de la route. J’oublie le trajet, son conducteur, le film. Interzone entre le rêve et la réalité...

On s’arrête dans un autre bled anonyme, les Abrets. On boit un verre dans un de ces universels PMU. LA serveuse est sympa. La faune locale nous regarde comme des barbares. Le plus drôle c’est que je fais pareil, je les regarde comme une bande d’aborigènes. Me font penser aux artistes de Lascaux qui ont peint avec autant de naïveté que de grâce un monde laid et complexe.

On cherche un hôtel, une auberge. N’importe quoi où dormir. Y’a rien. On s’apprête à congédier notre chauffeur. La serveuse sympa revient et nous indique un gîte à quelques kilomètres. Michael, notre chauffeur, daigne faire un détour afin de nous y mener. On marche vers sa voiture. Je remarque sa chemise rayée dans un sens et ses pantalons rayés dans l’autre. La  bonté est rarement esthétique, que je me dis.

On repart sur d’autres départementales. On s’enfonce encore plus profondément dans la campagne. On passe devant d’anciennes demeures seigneuriales de province, bouffées par le temps, le lierre et l’abandon. On finit par aboutir au bout d’une allée de noyers derrière laquelle se trouve le gîte en question. Une vieille ferme toute en pierre cachée par une végétation foisonnante.  Le temps est toujours brumeux et maussade. Des corbeaux croassent sinistrement.  Le décor est cinématographique au possible, tellement qu'on reste figé, on n'ose pas sortir la caméra. Comme peur que le rendu soit décevant...

Michael nous laisse devant la porte du gîte. On le congédie avec mille remerciements. Sa 206 dérape dans la boue et se perd instantanément dans le brouillard. On est devant la porte avec nos sacs. On comprend pas trop où on est. Géographiquement ça va. Mais on a du mal à tracer mentalement une ligne cohérente entre ce matin à Lausanne, et ici, maintenant. Et le lieu est tellement imposant que ça nous laisse un peu interdit. On regarde les deux Audi et la Mercedes parquées dans le stationnement et on rigole. Barbus autant que nous sommes. Barbus devant l'Éternel. Mais vachement plus en moyen qu'en nos voyages de jadis. Qui plus est, c'est l'État du Valais paye. On cogne. Fiers du bordel qu'on va foutre en bouffant notre "formule champêtre", c'est ce qu'indique le menu à côté de la porte. On spécule sur le vin qu'on va boire. On est encore plus crampé.

La porte s'ouvre sur un hall de pénombre. On distingue à peine notre hôte. L'accueil est aussi sinistre que le décor à l'extérieur. Et dès qu'elle - l'hôte - s'aperçoit qu'on est à pied le ton change. Elle allume l'interrupteur. Une ampoule économique inonde la pièce d'une lumière crasseuse. C'est complet qu'elle nous dit. Alain demande s'il peut utiliser les chiottes. Y'en a pas qu'elle lui répond. Malaise. On hésite à savoir s'il faut rire ou l'envoyer chier.

On est reparti avec le brouillard qui se levait, sur des routes boueuses pleines de bouses fumantes. Le ciel bavait un de ces crachins incertains, une sorte de neige pisseuse. Le fossé démographique Humain/Vache s'est encore creusé. À vue de nez ça devait faire 2 pour 300. On a réussi à retrouver la Départementale. On a levé le pouce dans le néant. Après 2 tracteurs et une bagnole on a décidé de se mettre en marche. Au moins la route était belle. Même que la pluie s'est tue. 


Le soleil à l'horizon diffusait une lumière étrange à travers la masse compacte des nuages. C'est la nuit qui tombait et avec elle l'incertitude du logis. On s'est mis à lorgner du côté des vielles granges qui traînaient au fond des champs. Nous avons continué notre marche en se disant qu'au pire c'est pas les granges qui nous feraient défaut. Finalement, après 5 ou 6 kil, on a rejoint une Nationale. On s'est foutu sous un réverbère en attendant un lift inespéré.

Je crois qu'on a attendu 5 ou 10 minutes. Une autre 206 s'est arrêtée. Encore plus pourrie que la précédente. On a donc fait la rencontre de deux algériens super cools qui picolaient en conduisant. Charitables mécréants ! J'avais une caisse de trente canettes de bière à mes pieds. J'ai donc joué au barman pendant tout le trajet. 


Ils nous ont poussé jusqu'au seul hôtel de la région. L'hôtel Morris de Pont de Beauvoisin. Un truc aussi paumé que thrash. Et l'accueil aussi patibulaire qu'au gîte, à la simple petite différence qu'il y avait de la place - presque. Alain et moi avons dû partager une couche matrimoniale sous prétexte que c'était plein. N'importe quoi, grosse bitch, y'a pas une bagnole devant ton hôtel miteux. Je voulais l'étrangler cette connasse de Française. On lui demande si le petit déjeuner est inclus. 7 euros pour un minable croissant, un verre de jus d'orange même pas frais et un café tiède. Je pensais bien. Je pensais bien ! C'est ce qu'elle nous répond, la pute, quand on lui dit qu'on ne prendra pas son petit-déj. On a finalement pris la chambre sans trop gueulé. On était sale et exténué. Elle avait le monopole à 50 km à la ronde avec son osti d'hôtel puant à moquette couleur jaunisse. J'avais juste envie de dormir. J'ai fermé ma gueule. 



 



vendredi 17 avril 2009


Tanger, Hotel Continental. 17 avril 09.

Suis sur la terrasse du Continental. Je bois un mauvais café et me réveille au gré des gorgées. Je regarde le soleil se débaucher sur les collines environnantes, sur la mer. Le détroit est calme et gris, bigarré par quelques flaques de lumière. Je vois des dockers s'affairer autour de containers multicolores et rouillés. Un chien aboie. Un coq gueule... et je fume clope sur clope, comme toujours, comme partout. 

Me suis réveillé de bonne heure ce matin. À 5h30, avec les dévots mahométans et le soleil. L'appel à la prière réverbéré par les falaises sur lesquels grimpe la Médina. Écho surréaliste. Intemporel.


J'ai enfin du temps pour me poser. Pour boire des cafés à l'infini et organiser mes carnets. Pour reprendre un blog, créé ad-hoc pour un autre voyage, que je n'ai jamais vraiment utilisé. Faute de temps. Faute d'envie. Parce que l'instantanéité qu'exige bloguer me fait un peu chier. Mais bon, je n'écouterai pas les braves conseils de mon ami Alex qui m'a suggérer de ne plus jamais bloguer et je vais quand même poster mes "humeurs" en tentant d'augmenter ma moyenne d'un post par année...

Si jamais y'a des incongrus - et pas seulement que des amis qui veulent être sympas - qui daignent lire mes interminables lignes; je suis en Voyage, avec un grand blond bourru que j'ai jadis rencontré au Maroc. Nous sommes en route vers l'endroit où nous nous sommes rencontrés il y a 6 ans. (C'est un peu le pèlerinage d'une amitié. L'excuse d'un voyage.) Lui doit produire le projet final de son école de cinéma. Nous tournons donc un film qui n'a pas vraiment de scénario, mais simplement une quête : retrouver un ami marocain qui habite le désert. Nous avons perdu tout contact avec lui depuis 5 ans: pas de mail, pas d'adresse, pas de téléphone. Afin de le retrouver, juste une technique éprouvée depuis la nuit des temps, depuis que les sémites sont sémites : le téléphone arabe. Et une photo:


 

Bonne lecture aux courageux - ou à ceux qui ont du temps à perdre.

...




J'suis arrivé en Suisse jeudi dernier. Un autre chez moi en quelque sorte… Zéro dépaysement. (Si ce n'est qu'en certains cantons l'on puisse encore fumer sauvagement à l'intérieur.) Puis, évidemment et trop rapidement, Vevey et le Bout du Monde – le bar, je précise. Deux jours d’inévitables cuites avec les potes, d’interminables tasses de café au Cep et d’errances mélancoliques au bord du lac… J’y ai même croisé Marco Calliari(?) suivi d’une pompe de groupies québécoises, toutes languides et infirmières au CHUV de Lausanne. La soirée s’est terminée dans le caveau du BDM avec les musiciens et les infirmières, tous ronds comme des barriques et lascifs comme Éric Poirier su'l spanish fly.

Une des infirmières, décidément fière de son clivage, me crissait ses grosses boules tachées de bière en plein visage. C’est finalement la vedette du jour qui m’a tiré d’une situation qui devenait franchement embarrassante. (Ça devenait du wet t-shirt inconscient tellement elle titubait avec son verre de bière. Du gros jus d'houblon qui n'en finissait plus de couler entre ses mamelles préhistoriques et, accessoirement, sur moi-même. Tout ça pendant qu'une autre infirmière s'occupait à photographier les nichons de son amie en se promettant de les taguer sur FB.) Le chanteur et l'infirmière ont finalement disparu vers les loges à l’étage, en valsant comme des ivrognes en rut. Suis parti dormir. Saoul comme une botte. En oubliant la marche étrangement itérative du monde.

Départ le lendemain pour la grande route. Avec une gueule de bois digne du pire vin grec. Nous sommes partis depuis Vevey vers Lausanne. Direction Évian par le ferry. C’est le voyage qui commence. Nous débarquons du bateau et tout de suite y’a plein de détritus qui jonchent les caniveaux et le trottoir, les cabines téléphoniques puent l’urine et les bagnoles sont vieilles et rouillées. Tout atteste brutalement la France, bien que le paysage soit identique…


On marche un peu, vers la Nationale. Sort le pouce, pas trop longtemps. Un type s’arrête et nous avance sur quelques kilomètres. On s’est retrouvé de retour en Suisse à force de zigoner sur les petites routes. Au beau milieu de la campagne genevoise. Au beau milieu des champs de blé. Du gros bucolique de carte postale avec en prime des petites fleurs jaunes partout. Mignon.

On attend un peu sur le bord du champ. Tout un corso de bagnoles de luxe qui nous passent sous le nez, avec à leur bord des vieux bourges aux gueules de patriarche calviniste. Une vielle mami s’arrête. Les différents morceaux de sa voiture tiennent par la grâce de Dieu. Idem pour ce qui est de sa conduite. Elle manœuvre tout croche. Appuie sur le frein et l’accélérateur en même temps. Elle est toute gentille. Respire la bonté. Elle finit par pour nous laisser à un autre poste-frontière. Schengen a fini de vider les guérites. On passe à pied s’en se faire emmerder.

Dès qu’on repasse du côté français, on retrouve des poubelles éventrées, des chars qui pourrissent dans les ornières et des murs de crépis décrépis. Vouloir faire plus cliché on serait pas capable. C’est triste à dire, mais c’est un peu ça, la France. Un beau pays salopé par ses citoyens. Ensuite, pas difficile de croire qu’on chiait derrière les rideaux à Versailles !