dimanche 3 mai 2009

Une chevrolet bleu sans aileron


La bagnole du franchisé Budget n’était pas disponible. Je m’y attendais. C’était trop beau, trop simple, de réserver sur Internet. Dès mon premier voyage au Maroc, j’ai compris qu’il me fallait toujours rester méfiant face à ce qui paraît trop facile et trop rapide. Si vous faites ici l’expérience de l’un ou l’autre de ces deux concepts, c’est soit qu’on est en train de vous rouler correctement dans la farine, soit que vous êtes au consulat britannique. (Ou encore que vous venez de glisser un gros billet graisseux dans la poche de celui qui lambinait et niaisait allégrement. C’est fou comme quelques dirhams peuvent vous procurer instantanément une efficacité toute germanique. Bref, le Maroc c’est comme la France, mais en plus drôle, en plus chaleureux. D’ailleurs, pour revenir sur mes digressions sur le travail humanitaire, un autre conseil : allez bosser en France plutôt qu’au Soudan, je pense qu’ils en ont crissement plus b’zoin !).

Alain et moi avons donc repris notre bagage. On en menait pas large avec nos diarrhées respectives. En plus, on avait une de ces gueules de bois. J’vous dis pas l’état dans lequel on se trouvait. Et puis Fès grouillait dans le crépuscule. On pataugeait dans le remugle de mauvais carburant, au milieu du trafic furieux. En plein dans le chaos des grandes villes marocaines qui est soit pittoresque, soit impossible. Mais jamais dans la nuance.

On a donc joué des pieds et des mains dans ce grand merdier pour se trouver une autre bagnole. On cherchait un franchisé de grandes marques mais on trouvait pas. C’est que c’est un peu n’importe quoi de se louer ici une bagnole chez un particulier. Jamais moyen d’être sûr que la voiture est bel et bien assurée, qu’elle est immatriculée dans les règles de l’art ou simplement qu’on ne débitera pas 300 000 dirhams sur votre carte de crédit. On a eu beau chercher à hue et à dia, pousser notre patience, tougher notre lendemain de brosse. Rien. Le néant de la location de voiture sérieuse. Que des petits échoppes avec des bagnoles pourries louées par des types encore plus louches que leurs bolides.

Je devenais fou. P’us capable de traîner mon sac. De me traîner moi-même. On s’est donc risqué chez un de ces loueurs de voitures cabossées. Le type était un marocain super sympa. Un marocain du New-Jersey, de surcroît fan des Devils et de Martin Brodeur. Ça m’a un peu calmé. En tout cas jusqu’à ce que je vois la boîte à savon sensée nous mener jusqu’au désert. Mais j’ai vraiment déchanté quand ils ont pris mon numéro de sécurité derrière ma carte de crédit. Même le type de chez mastercard m’a confirmé que c’était ultra douteux comme manœuvre. J’ai donc fait annuler ma carte en bouffant mon McArabia à la sauce tagine. Et puis nous avons pris la route d’Ifrane en écoutant du country. À bord de la caisse la plus ridicule que j’ai vu de ma vie. En oubliant nos contractions dycentriques, les loueurs de voitures véreux et notre gueule de bois carabinée.

La route s’est décalquée sur la nuit au gré des phares borgnes de la bagnole. Et la voix de Wanda Jackson nous a guidé comme une égérie de road-movie jusqu’à bon port.



Suis à Ifrane. La Suisse du Maroc. Petite ville de montagne. Station alpine pour les ultras-friqués. Indécemment propre pour ce pays qui est si joliment sale. Elle a été construite par les Français, pour les Français. Et si ce n’était des écriteaux en Arabe, on jurerait être à quelque part entre le Piémont et la Slovénie. Nous y avons pris une chambre dans un hôtel au nom Ô combien pittoresque : Le Perce-Neige. La décoration atteste un luxe défraîchi. Tout est en granit saumon ou en mélamine beige. Les serveurs et les grooms sont vêtus d’horribles toxedos mal taillés et d’un nœud-papillon vert menthe. Il y en a trois qui font l’aller-retour entre le bar et mon cendrier chaque fois que je tape dedans. Cinq marocains se torchent violement à la binch et au whisky-coca. Ils sont saouls et suants. Moi je desends des gins-tonic en évitant de tourner la tête vers n énorme cafard qui me regarde presque amoureusement. Je viens de l’écraser. C’est qu’il commençait un peu à me gêner avec ses langoureux battements d’antennes. Ça a fait un gros crounch. Et puis c’est plein de jus brun sur le plancher saumon. Je vais me coucher. J’en ai trop (b/v)u pour aujourd’hui.

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