mardi 12 mai 2009

Africa felix

Puis la route a continué d’étendre son interminable bitume. Infatigable dans la métamorphose de son paysage et inépuisable dans ses points de fuite d’une rigueur presque classique. On a encore passé quelques cols et passages sinueux. Puis on a débouché sur un canyon, juste malade, avec des parois ocres qui se dressaient jusqu’aux nuages et en son centre une interminable palmeraie. Sur au moins 50 kil qu’on l’a longée, dans les méandres de son lit qui traçait notre route, à la hauteur de sa canopée odorante et touffue. Dans ses ornières, des ânes chargés de dattes et autres cochonneries exotiques. Des papis allongés sous l’ombre étriquée des palmiers. Et quelques gamins qui traînent à trois sur un fucking vélo. On a d’ailleurs failli en buter des hordes de ces enfants errants, amoncelés sur leurs BMX osseux, qui vagabondent nonchalamment dans les virages en épingle.

On a finalement rejoint Errachidia. Alain commençait à angoisser. On approchait de plus en plus de Rissani. Faut dire que la dernière fois qu’Alain y a foutu les roues d’une voiture, on a lapidé le pauvre véhicule sans autre forme de procès. Moi ça m’inquiétait pas trop. Une bosse de plus ou de moins ne changerait pas grand chose au look déjà assez pitoyable de notre pathétique bagnole. Et une vitre en moins pallierait à l’air climatisé évidemment déficient.



Le jour dégoulinait ses dernières lumières. Nous avons rejoint Rissani dans une bauge de crépuscule et dans le chaos du souk, dans la fange humaine. Barbouillée en clair-obscur par la lumière qui se faufilait au travers des ksour, et les chèches qui obombrait les visages… l’allure que prenait les gueules, dans cette maigre et vomissante lumière, ne nous inspirait rien de bon. J’ai dû jouer du klaxon et de bruits de moteur(toujours aussi ridicules) pour me frayer un chemin à travers la foule compacte et erratique des badauds, ânes, chevaux, bagnoles et autres pittoresqueries du cru monter sur roues ou sur pattes qui engluent chaotiquement et quotidiennement les rues de la ville.

Un essaim de rabatteurs en mobylette nous ont alors pris en chasse. Manœuvrer dans les rues bondés et bordant le souk est déjà un exploit en soi. Le faire en se défaisant de trois scooters, équipés chacun d’un duo de larrons qui font tout pour vous coincer dans la première impasse, tient de l’imaginaire de George Lucas ou d’un auteur de romans picaresques. Y’a pas grand chose à craindre, sinon de se faire imposer un hôtel miteux à un tarif monégasque. Ce qui est emmerdant, en définitive, c’est le capital-patience qu’on dépense pour simplement refuser. Et c’est là où le bât blesse, où 90% des touristes se font avoir. Pas parce qu’ils ont un couteau sous la gorge ou un flingue sur la tempe. Simplement parce qu’ils sont incapables de dire non et de s’y tenir…

Même les safi bien sentis ne décourageaient pas nos nouveaux amis improvisés. D’ailleurs, plus on refusait poliment – mais fermement – leurs offres puantes, plus ils devenaient agressifs sur le guidon et menaçants dans leur rengaine. Heureusement, j’ai gardé de Rissani un bon sens de l’orientation et un souvenir photographique de ses rues et ruelles. Et j’ai persisté stoïquement sur ma route – au risque de les aplatir un après l’autre sous les roulettes de notre pauvre titine. Un conseil au Maroc : même si vous ne savez pas où vous allez, ayez l’air aussi résolu sur votre improbable trajet que si vous alliez acheter une pinte de lait au dépanneur à côté de chez vous. Le pire que vous puissiez craindre, c’est de tomber sur des escrocs aussi véreux que les précédents. Le cas échéant, répétez l’opération jusqu’à ce qu’on vous foute la paix !

J’ai finalement parqué le char et suis sorti chercher des clopes et de la flotte pendant qu’Alain décourageait nos assaillants édentés(Faut vraiment qu’un de ces quatre je vous parle de la dentition marocaine…). Le nom d’un hotel pigé au hasard dans le Crowdy Planet et celui d’Hicham E. ont fini par décourager la plupart des rabatteurs. Deux sont restés plantés devant nous, têtus comme ces saloperies d’ânes qui m’empêchaient de conduire correctement, et ont continué à nous suivre pendant un moment sur leur scooter plus ridicule encore que notre voiture. Ce sont d’autres touristes, à la dégaine plus candide, qui ont eu le malheur de croiser notre route et la providence de nous débarrasser de ces connards motorisés.

Faut dire que depuis que Merzouga n’est plus un bled paumé, accessible uniquement par la piste, les pauvres habitants de Rissani ont perdu une bonne part de leur buisness. Buisness d’autant plus nécessaire que les caravanes ne s’arrêtent plus aux abords de ses caravansérails presque millénaires. Que les marchés à bestiaux ne sont que l’ombre famélique de leur prospérité ancestrale et légendaire. On a tracé une belle route droite depuis Rissani. Toute goudronnée et directe. Qui vous mène dans le temps de le dire vers les nombreuses Kasbah. Cerne touristique autour d’un amas de sable, certes beau au possible, mais pour combien de temps encore... C’est déjà un dysneyland pour des tripeux d’Indiana Jones en mal d’un huitième épisode. Alors, les gens de Rissani qui faisaient leurs choux gras en ayant le terminus chez eux, ont vu leur pain quotidien perdre un peu de sa saveur avec la construction de cette nouvelle route et, conséquemment, avec l'exil du tourisme rissanien qu'elle a engendré …



Le plein fait et les clopes achetées, on pouvait décamper. On a retraversé la ville et sa tourbe douteuse qui s’agitait furieusement autour du souk. Maintenant éclairée par deux ou trois réverbères qui pissaient leur lumière verte et économe. La ville prenait son autre visage, son articulation un autre rythme, plus alangui, autrement jaune. Alain et moi avions envie de sortir la photo d’Hicham et demander au premier venu s’il le connaissait. Sûr qu’ici quelqu’un saurait nous donner son numéro de téléphone ou son adresse, du moins qu’on nous enverrait vers lui d’une manière ou d’une autre. On a donc rangé la bagnole devant une petite échoppe qui débordait de bidules en fer-blanc et d’objets de quincaillerie. Une ampoule nue pendue sur un long fil éclairait violement la pénombre turbulente. Y’avait un monde incroyable qui discutait tout autour. La voiture à peine parquée, quatre ados acnéiques se sont rués vers ma fenêtre que j’étais en train d’ouvrir. On a eu le droit au baratin de base et aux salutations polyglottes. Aux déclinaisons idiomatiques de tous les pays de la francophonie. Ils sont tarés ces gamins. Vous parlent en 8 langues. Rajoutent les fricatives québécoises. Bref, la barrière de la langue est une vaine excuse pour refuser le thé, un tapis ou un tour de dromadaire. Même ces putains de Japonais se font fourrer vertement dans leur propre langue, à plus de 10 000 kil de chez eux, à des millions de bornes culturelles de leur île !

J’ai donc opté pour l’espagnol. En leur disant que j’étais Mexicain(étrangement les Marocains sont d’emblée plus sympas quand je sors la carte des origines paternelles). Bref, la fenêtre est maintenant ouverte et les ados sont à moitié dans la bagnole, penchés au-dessus de moi. J’ai trois têtes complètement fourrées à l’intérieur. Et ça continue à s’agglutiner tout autour de notre petite voiture. Je les repousse un peu. Leur explique qu’on sait où on va, qu’on a ni besoin d’hôtel ni de guide. Et j’insiste. Alors on commence à nous offrir des kilos de chocolate. Rien à battre de votre criss de haschisch. Et puis je vois un grand type se ramener. Il commence à faire le ménage autour de la bagnole. Bouscule les ados. Les engueule. Leur dit de se casser. Ça gueule tout autour. Mais il est vachement plus grand, vachement plus cool. Des fausses lunettes D&C sur les yeux. Le look surfer, MP3 sur les oreilles. Un immense sourire et une hygiène dentaire impec. C’est vachement plus avenant que les gueules glaireuses où il n’y a plus que trois dents rongées par le sucre et des bouts de bouffe faisandée. Ses dents sont blanches, immaculées, et bien droites, qui contrastent joliement avec son hâle cuivré. Il me dit qu’il est de Chihuahua en rigolant, l’accent bien mexicain. Et je rigole à mon tour. Il me montre la photo de sa chicks mexicana. Me montre la photo de sa doune danoise. Celle d’une salope française. Suis le Casanova berbère qu’il me dit. Et nous ça nous fait rire. Les ados moins. Il se retourne vers eux, lève le bras et gueule. Ils se cassent piteusement. C’est comme ça qu’on a rencontré Omar no. 1. Qui deviendra notre guide officieux et notre fournisseur de vin officiel…

Il était cool. On lui a donc montré la photo d’Hicham. Il l’a regardé deux secondes et puis nous a sorti deux ou trois trucs qui confirmaient qu’il le connaissat vraiment. Ils nous a aussi dit que depuis que l’Oued avait emporte l’Hôtel Berbère(où Hicham avait ses aises), que notre ami trainait plutôt du côté de la Palmeraie, un hôtel au centre de Merzouga où j’ai déjà dormi. Omar nous a même indiqué comment nous y rendre sans insister pour qu’on le prenne à bord. On l’a donc congédié gentiment. J’ai quand même pris son numéro, lequel s’est avéré très pratique par le suite !




J’ai repris le volant. Les ados nous ont toisé méchamment. Y’en a même un qui est venu taper dans ma vitre. J’ai fait mine de rien et me suis dirigé vers le désert. Nous sommes sortis de Rissani et la route s’est étendue dans la nuit. Infiniment droite. Autour de nous, l’obscurité, et rien, juste l’invisible désert qu’on présumait avec plus de foi qu'une réelle certitude. Et dans ce grand néant les choses se sont résumées pendant des kil aux seuls phares de la bagnole, jaunes, sur le bitume, noir. Et à la voûte étoilée qui, défaite de toutes contraintes géographiques, brillaient de mille feux dans l’amplitude sans borne du Sahara.

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