lundi 4 mai 2009

Un mouton en levrette !


Matin à Ifrane. Nous déjeunons frugalement dans l’immense salle-à-manger de l’hôtel. La pièce est désolée et nous sommes au beau milieu d’une batterie de tables aussi pompeusement dressées que solennellement désertes, au beau milieu d’un bataillon de serveurs inutiles. Deux cafards me regardent moins amoureusement que celui de la veille. J’avale mon jus d’orange. Fume trop. Bouffe pas assez. Et puis nous rejoignons notre voiture qui ressemble étrangement à une des blattes de l’hôtel.


Notre chevrolet – loin de la Malibu de ne mon enfance – a un air encore plus burlesque sous l’éclairage diurne. Elle a des roues de brouette et fait des grincements de char électrique quand on shifte. Pour dépasser à 120, je dois me mettre en troisième. Y’a zéro reprise. Je vous dis pas le bruit que ça fait. En plus que c’est vachement dangereux pour dépasser tracteurs, ânes et camions jurassiques qui battent chaotiquement l’asphalte. Je fous la musique dans le tapis, ça masque la mélodie inquiétante du moteur. Choisis l’abnégation à la superstition. The Pine Family a Allah.

La route continue à monter au gré d’un paysage boisé. Des singes bordent la route avec leur sourire narquois. Ça grimpe sans cesse. Ne serait de ces bestioles, on se croirait dans le Jura. La route débouche sur un immense plateau doucement vallonné qui n’a de limites que l’horizon et quelques pics enneigés. On dirait les steppes du Gobi. On pousse notre cafard. 120. 130. On frôle la désintégration. La tôle gueule. Plus fort que les Ventures qui rythment une route sans fin, interminablement droite. La route et l’horizon se marient confusément dans le lointain. Point de fuite volatile. Mirage épiphanique de notre destination.

Des bergers identiquement solennels jalonnent notre itinéraire. Ils sont tellement seuls dans l’amplitude de leurs pâturages. Dressés au milieu de leurs bêtes. Statiques et marmoréens dans l’infinie lumière des landes. On dirait l’arrière-plan d’un mauvais péplum. Le bitume continue à s’allonger monotonement sur de kilomètres et des kilomètres. Y’a que la route et une lumière diffuse sur des centaines de bornes.



La route recommence à grimper. On repasse dans les Alpes et on débouche en Arizona. Surréalistes tous ces changements de paysages. Le lecteur cd engloutit Calexico en glougloutant comme le moteur. La musique est parfaite. Le paysage, un décor de film. Je suis John Wayne et Alain le sergent Garcia (c’est qu’il a grossi mon tendre ami depuis nos bourlingues de jadis, moi aussi d’ailleurs, mais pas autant !). L’horizon file au travers du pare-brise englué par les bestioles qui s’y abîment juteusement. C’est beau. Putain que c’est beau. Pas les bestioles. Le paysage. On dirait que c’est pas vrai. Qu’on a collé le décor devant nous comme ces arrière-plans de bagnole qu’on foutait dans les vieux films.

Et on file toujours. Les ruisseaux se tarissent lentement. Les conifères ont fait place aux palmiers. Le vent s’est épaissi et asséché. La terre est passée de grise à rouge ocre. Les cailloux se sont disséminés et ont grossi. Les hommes portent le chèche et beaucoup de femmes le voile intégral, noir. C’est le sud qui lentement s’éploie. La géographie qui façonne subtilement le paysage, le cours des vents, les hommes et leurs mœurs. Et malheureusement aussi, leur fortune. Aléatoire comme matérielle.

On arrête la bagnole dans un bled sans nom. Les bâtiments sont rangés en batterie le long de la route. Comme dans un Western. Décrépits dans le même goût. Le vent souffle et charrie un sable fin qui nous fouette le visage. On entre dans le souk du village. Tout y est désolé. Des étales chavirés que le vent pousse par à-coups grincent dans le néant. Si ce n’était d’une vieille pub de coca-cola peinte sur un mur, la graphie en Arabe, Clint Eastwood ou le cowboy Marlboro pourrait venir me demander du feu que je serais même pas étonné. Il pourrait y avoir un pendu à la porte cochère que ça serait juste normal. Y’a même ces boules de branchages qui roulent dans l’éternité désertique du souk.



Après deux clopes et quelques photos on se décide à partir. Et puis on remarque deux vieux étendus à l’ombre d’un bâtiment. Comme tellement de gens au Maroc, ils sont là et ne font rien. Combien de ses personnes qu’on a croisé sur la route, alanguis dans l’ombre et le regard perdu dans l’éternité. Dieu sait ce qu’ils font. Mais y’a tellement pas de boulot ici. Et pas vraiment de centre d’achats où aller étioler son existence. J’imagine que la plupart attendent que la vie passe en espérant un improbable événement. Anyway, les deux vieux nous ont semblé sympas, et ils l’étaient. On a sorti la photo d’Hicham et on leur a montré. Ils l’ont regardée attentivement, très longtemps. On entendait le vent soufflé en attendant une quelconque réponse. Ça traînait. Et eux discutaient en Arabe. Quand le plus vieux s’est tourné vers nous, on était certain d’avoir retoruvé notre pote. Mais non. Ils nous ont envoyé avec leur bénédiction à Merzouga. En nous faisant promettre de revenir. D’y inviter des touristes. Sûr qu’ils chérissaient, in petto, le souhait de voir revivre leur souk comme au temps de leur enfance. Qu’à défaut de retrouver les caravanes de jadis, chargées des biens les plus exotiques et les plus lointains, ils apprécieraient voir ces nouvelles caravanes de 4X4 bondées de touristes amenant avec eux les précieux euros. Dont ils feraient le plein en échange de quelques babioles en fer-blanc, de faux tapis berbères et de quelques thés à la menthe écœurement sucrés… Alors je me trouve étonnamment con et ouvrant ma braguette, je m’en vais prendre par surprise un mouton en levrette. Ma besogne terminée, je file 15 dirhams aux deux types et nous reprenons la route. Le cafard hurle encore, mais pas autant que le pauvre animal de tout à l’heure…*



* P'us moyen d'aller chier en paix. On terrorise jusqu'à mon blog dans mes seuls instants de réelle solitude. Vous aurez compris qu'Alain vient de faire la projection de ses fantasmes inavoués et inavouables sur ma tribune, et à mes frais... La prose en Italique est de lui, et, au demeurant, reconnaissable sans artifices typographiques ! Sa verve étant inimitable !

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